FRESQUES NUMERIQUES

 
 

Le terme fresque désigne principalement une technique picturale à même le mur et sous entend des œuvres aux dimensions conséquentes. J’ai choisi ce mot parce que ces travaux sont conçus pour être monumentaux, présentés à même les murs, mes références artistiques initiales s’enracinent dans la peinture classique et le protocole de réalisation de ces œuvres possède des aspects similaires au travail du peintre (documentation, composition, esquisses). Numérique se rapporte à la matérialité de ces œuvres, à leur élaboration (appareil photo, outil informatique) et par définition questionne la notion de flux d’image à l’ère d’internet. Ces deux termes peuvent paraître contradictoires avec, d’une part, l’intitulé fresque renvoyant à la peinture Historique et, de l’autre, l’expression numérique synonyme de pratiques contemporaines pas nécessairement artistiques. En les accolant je place ce travail dans le champ de l’art, en l’ancrant dans une tradition plastique.

Ce sont des œuvres composites monumentales possédant un protocole de création précis. L’étape initiale passe par le dessin et la réalisation de croquis posant les bases de la composition. A ce stade, je fixe les grandes lignes du projet, je cible mon propos, j’établis les références et l’esthétique envisagée. Cette étape est cruciale je m’y référerais tout au long de la réalisation afin d’assurer la cohérence du projet final. C’est là que je bascule sur le médium photographique afin de constituer le fond d’images sources nécessaires à l’élaboration de ces fresques numériques. Sensible au domaine scientifique, j’appréhende mon sujet de manière rationnelle, en essayant de le comprendre, cela se traduit par une approche méticuleuse où, à l’aide de l’outil numérique je réalise l’ensemble des photographies nécessaires à la réalisation. L’appareil photo, comparable au microscope, me permet de saisir pleinement mon sujet, d’enregistrer ses textures, de percevoir les transparences, de visualiser ses articulations… Il est primordial que je réalise moi-même les prises de vues (techniquement cela me permet de varier les paramètres d’éclairages, les angles de vue, prendre en compte les lieux…) c’est le moyen de contrôler toute la chaine de production (contrôler la résolution des photographies, la quantité). Ici la notion de flux des images transparaît, puisque, pour les besoins de ce travail, il me faut avoir un nombre relativement exhaustif de photographies prenant en considération l’ensemble des spécificités du sujet. Souvent dans le cadre de voyages lointains, ces deux étapes se voient inversées, ce protocole de travail déterminé me permet de d’anticiper mes besoins. Ensuite il me faut collecter la matière première nécessaire, cela se traduit par des choix parmi les photographies réalisées, lorsque le propos le justifie il m’est possible de puiser d’anciennes images réalisées dans les mêmes conditions. Si besoin, je réalise des séances de prises de vue complémentaires, j’évite de modifier les images sources, la puissance des logiciels de retouches permet de déformer totalement les photographies, en procédant de la sorte, on perd de vue le sujet de départ (détérioration, modification des textures, redondance…) et j’ai la volonté de conserver ce lien au réel inhérent à ce médium. Ce questionnement du réel, sa définition, ses limites, sa représentation sont indissociables de mes travaux. Outre le rapport du médium photographique au réel (valeur de preuve de la photo persistante), l’image photographique reste le « ça a été » de R. Barthes, j’utilise ce réel parcellaire pour construire une image qui va basculer dans le fictif. Au terme de ce processus, on obtient une fresque numérique, constituée de milliers de photographies du réel. La richesse plastique de l’œuvre et sa monumentalité, pour être appréhendées pleinement, sont conditionnées à une temporalité longue à l’image de sa mise en œuvre. Cette volonté d’inscrire la perception de mes travaux dans la durée s’oppose aux idées de flux et de vitesse propres à notre époque, notions qui se retrouvent dans le choix de conférer une matérialité pérenne ou éphémère à ces réalisations.

De ce positionnement découle une question : qu’est ce qui fait l’œuvre ? Afin d’être cohérent avec l’aspect composite de ces travaux, j’ai opté pour des matérialités différentes en fonction des supports et des techniques d’impressions spécifiques aux formats, déterminés par les conditions d’exposition. Dans le cas d’œuvres monumentales, celles-ci se présentent sous la forme d’impression haute définition sur bâche ou de projection, assurant une pérennité à l’œuvre (résistance aux intempéries en extérieur, aux UV, à l’humidité…) questionnant sur le statut de l’image, la prise en compte de la notion de flux visuel. Elles peuvent aussi prendre la forme d’œuvres éphémères en étant imprimées sur papier (collage), interrogeant la circulation des images, leur durabilité et leur réalité. Concernant des formats modérés (inférieurs à deux mètres), une impression plus traditionnelle est envisagée (type plexiglas ou diasec) ces visuels prennent alors des formes plus classiques, rapprochant l’œuvre du médium photographique et, matériellement, l’inscrivant dans une Histoire artistique.